Né en 1928, Gérard Sendrey a occupé une fonction administrative à la ville de Bègles, dans le sud-ouest de la France. Il commence à dessiner en 1967, sans avoir appris. Mais il élabore une technique très personnelle… (Neuve invention. Collection de l’art brut. Lausanne 1988) Gérard Sendrey ou la liberté conquise Dans l’oeuvre de Gérard Sendrey, domine d’emblée l’idée de transformation, de métamorphose, de changement. À moins qu’il ne s’agisse tout bonnement… de continuité. C’est certes ce qu’on peut dire de son travail : quel parcours cohérent, depuis les premiers tracés noirs à la mine de plomb, à l’encre, au crayon de couleurs ou au stylo à bille, et ses actuelles recherches, nées de la rencontre entre des matières, – acryliques, gouaches, papiers, cartons… -, des techniques sans cesse dépassées, – plumes sergent Major notamment… -, et une étonnante sensibilité picturale ! De foisonnantes dentelles, alvéoles de ruches pleines de surprises séduisent, surtout quand, en surimpression, vient s’ajouter à l’écheveau central un réseau encore plus serré, comme imbriqué dans le tissu. Le fond peut rappeler des étoffes moirées, chamarrées, – canevas riche d’invention et de beauté -, mais qui se révèlent plus dangereuses que des toiles d’araignées : on peut s’y perdre ! Dédale, labyrinthe complexe, frises obsessionnelles, le spectateur ne sait comment échapper à l’étrange fascination de ces fils entrecroisés, entrelacés. Et ce qui se vit à l’échelle d’un tableau se retrouve dans son oeuvre elle-même, dans sa multiplicité. En effet, dans la démarche artistique de Gérard Sendrey, tout se fait, se défait, d’un dessin à l’autre, cellules toujours redécoupables à l’infini d’un trait jamais arrêté, qui poursuit sa quête, son fractionnement, – et paradoxalement aussi son unité.
Les travaux plus récents, en aplats colorés ou à l’encre noire, sont classés dans de nombreux écrins, boîtes étiquetées, organisées, avec le soin que l’on trouvait auparavant dans les divisions en enchâssement des feuilles de papier, ordonnées en rubriques, sous-rubriques, arcs donnant naissance à d’autres courbes, cellules déployées en autres canaux. Mais si le rangement a gardé la rigueur et l’organisation des précédents dessins, les oeuvres, elles, sont merveilleusemnet affranchies de la forme, émancipées des canons et carcans traditionnels : la figuration s’est libérée, fruit de cette exploration menée constamment par Gérard Sendrey. Ce sont des visages, des masques, des corps hybrides, – humains et/ou animaux -, enchevêtrés dans leur propre ossature, aux lignes expressionnistes, intenses. Réalisées d’un geste sûr, en une tension graphique particulièrement expressive, ces formes jouent adroitement des pleins et des déliés…
Une liberté extraordinaire, acquise au fil des ans, se dégage de ces derniers calames. Enfin, on ne saurait oublier que Gérard Sendrey est poète. Dans ses encres fabuleuses, notamment. Mais également avec les mots. Et lorsqu’il écrit Mona Lisa, par delà la pointe d’humour, n’est-ce pas encore et toujours de son oeuvre qu’il parle ? “Toi ma géante mal foutue, ma chèvre blanche aux pieds de bouc Ficelle que tend le dessin entre ta hanche et tes seins Ton oeil blanc sur papier d’hermine (…)” Ses dessins “mal foutu(s)”, mêlant “ficelle” du tracé et tension “entre hanche et seins”… ne sont-ils pas justement ses plus belles réussites ? Modeste, Gérard Sendrey voudrait laisser croire qu’il s’agit de petits riens, bricolés pendant une réunion, un coup de téléphone, griffonnés machinalement en exercice lancinant, obsédant, impossible à arrêter… Mais indéniablement, c’est une recherche volontaire, active, qui préside à ces travaux minutieux, remarquablement aboutis.
© Anne Poiré
Aux Carnets du Dessert de Lune
Deux carnets, que l’auteur appelle lui-même « cahiers », illustrés à sa façon ! C’est-à-dire pour ceux qui aiment les dessins de Gérard Sendrey un feu d’artifices de couleurs et une débauche de personnages reconnaissables entre tous. L’autre versant, ce sont les textes, écrits à la main qui, comme les titres l’attestent font montre de la plus grande fantaisie où le coq à l’âne croise le tête à queue. On est dans l’absurde, dans le non-sens, dans l’ironie et le cocasse. Tout est léger, facile et drôle. On lit le tout à toute vitesse, on écarquille les yeux à chaque page. Une première mondiale ? : un texte à lire en tournant le carnet autour du rectangle d’un terrain de tennis !
© Jacques Morin in revue “Décharge“