Voici un extrait de l’entretien avec Pascal Nordmann pour son dernier livre « Fil info » de notre collection Lune de Poche.
L’actualité en son absurdité, le temps qui passe dans l’irréel des événements sans incidence où on le confine, rémanence et effacement de ce flux étourdissant de mauvaises nouvelles dont la destructrice gravité tout aussi bien se révèle en un sourire sérieux. Au jour le jour, d’abord sur son site, dans cette période du confinement dont on entend les tacites enfermements et échappatoire, Pascal Nordmann note l’ailleurs de nos incompréhensions de l’omniprésente rumeur du monde comme pour, dans le décalage, l’hypallage, s’en détacher. Reprenant la tradition comique du détournement de la brève, Fil info propose immobile un voyage dans cet univers qui se dérobe, dans la panique sans issu dans laquelle cesser de se complaire.
Les limites de l’humour, celles symétriques du sérieux. Peut-on traverser, semble nous demander une nouvelle fois Pascal Nordmann, en se marrant ? On ne sait pas trop : souvent on proteste contre l’envahissement du rire égrillard, narquois souvent de se prétendre à l’écart, facilement contempteur d’un monde auquel il ne croit pas participer quand il en reproduit, de fait, les dominations ; souvent, symétriquement, on doute des ratiocinations de l’esprit de sérieux, la satisfaction de Soi qui trop s’y cache. Oscillation, équilibre, là encore, ne céder à aucun systématisme. La brièveté de Fil info élude toute lassitude pour son dispositif : l’auteur choisit un journal, un pays et subvertit ce qui aurait pu se produire pour suggérer l’horreur ordinaire, tue, de ce qui, peut-être, s’y déroule. Un tour du monde dans ce qui est, selon le sous-titre, « poèmes d’actualité » où Pascal Nordmann, à son habitude, dit l’emboîtement de nos identités comme dans L’homme dans l’homme ou, à l’instar de Samuel Jones la déraison de nos masques et, partant, l’incertitude de nos souvenirs. Sans grande originalité, parce que cela semble patent en France, la période que couvrent ces poèmes, celles des confinements et pandémies, est aussi celle de la montée des autocrates. On parle ici souvent de l’oublié, presque, Boris Johnson, de Poutine et d’Erdogan. L’horreur politique mise à nu : Erdogan se vide le soir de tous les morts dont il est responsable, Poutine est une statue enchâssée à l’infini, indestructible, Johnson, clown, trimballe son mouchoir parlant. On s’amuse. Le monde se dérègle, plus rien n’est vrai – puisqu’on vous le dit. « Nous mettons du sens là où il n’y en a aucun. » Cependant, je ne sais me résoudre à cette absurdité généralisée. À chacun, comme dans l’actualité, d’y trouver sa propre implication. « Lorsque la terre brûlera sera-ce toujours la même flamme. » Dans chaque fragment persiste une lueur. À l’ombre de leur questionnement, de leur ironie, la tentation du pire, l’uniformisation de l’apocalypse, un instant est repoussée. Et la littérature de continuer à raconter ce qui aurait pu se passer. Rire du pessimisme ambiant pour en souligner, aussi, persistance et insistance. La lune, dans un journal, forcément, de Houston peuplé d’une casserole qui donne une recette de sauce tomates, on l’a fait taire ; le navire Fernando Pessoa IV trouve, rareté, un crâne humain rempli de matière cérébrale ; d’ubuesque prête polonais s’adonnent au cannibalisme… Alors, bien sûr, comme notre monde, on se demande un peu où tout ceci nous mène. Nulle part, partout, en rêverie c’est déjà ça surtout, croit-on, pour la conscience de notre commune insuffisance.